En octobre 1801, Bory de St Vincent s’élançait du front de mer de St Denis de La Réunion, à 5 h 00, pour une traversée Nord-Sud. Cet officier, biologiste, géographe, naturaliste avait soif d’aventures, de découvertes. Par cette traversée, il a été le premier à apporter une description scientifique de l’île, de ses reliefs, de sa végétation, de son volcan. Il laissa son emprunte avec le baptême de deux cratères : le Dolomieu ( Nom de son ancien professeur) et le Bory ( Son propre nom pour le cratère sommital).
Le 29 octobre 1989, ils étaient 550 « marcheurs » au Barachois, à St Denis. A 5 h 00, ils s’élançaient dans l’inconnu, pour une grande marche, un treck sous les craintes voire critiques d’une partie de la population. C’était le départ de la Marche des Cimes, un des premiers voire le premier ultra trail au monde. Cette idée, un peu folle, deviendra au fil des années un monument, la fête des Grands Fous. En 1989, j’avais sept ans. Je débutais la course à pied aux cotés de ma sœur Solène, dans les traces de Papa qui débutait sa carrière d’ultra fondu.
Passer la frustration de l’annulation des épreuves du Grand Raid 2020, il m’était nécessaire de rester mobilisé. Après une belle préparation, tous les voyants étaient au vert pour réaliser un joli Trail de Bourbon. Après quelques échanges avec Daniel Guyot, 25 fois finishers du grand raid, une idée s’est imposée à nous. Et pourquoi pas parcourir le premier itinéraire, celui de la première grande traversée, celle de 1989, la Marche des Cimes. Tout un symbole car Daniel était l’un de ces pionniers. Il avait mis 34 h 00 pour boucler ce qui allait être son premier ultra. Depuis, chaque année, il participe à de très nombreuses courses sur ses deux terres (Bretagne – Réunion), tant sur le bitume que sur les sentiers, du court et évidemment du long car tout est bon pour le Breton ! Et surtout, Il n’oublie jamais son contrôle technique annuel, le Grand Raid de la Réunion. Alors chaque mois d’octobre, si vous voulez échanger avec cette légende bretonne, et bien, rendez-vous au stade de la redoute !
Samedi 10/10/2020, Barachois. Daniel me remet symboliquement un de ses dossards d’époque. J’accroche cette relique avec 4 épingles à nourrisses, tradition oblige. Je lui propose de ne le porter que pour la photo, pour ne pas abimer ce petit trésor. Il préfère que je le garde symboliquement tout au long de l’aventure, tout comme lui. Nous aurons donc, tous les deux, le dossard 142. Daniel sous pèse mon sac et se rend compte que je ne pars pas en minimaliste. Normal, je porte toute ma nourriture et autres équipements qui me seront nécessaire si le temps se dégrade. La traversée se fera en quasi autonomie. Un seul ravitaillement prévu, au km 80, à Mare à Boue.
Bientôt 5 h 00, nuit noire et silencieuse sur St Denis. Pas de car podium, de speaker, de bénévole, de spectateur, de musique d’ambiance, …
Je m’ouvre aux différentes stimulations sensorielles qui viennent immortaliser ce moment dans mon esprit. Les éclairages publics, l’odeur plaisante de la boulangerie voisine, le bruit des poubelles ramassées par les éboueurs, les lumières des quelques véhicules remplies de jeunes fêtards rentrant de soirées festives, le son des vagues qui viennent se heurter aux murs et font rouler les galets du rivage. Et dans ce décor, deux drôles de dames, Mireille et son amie Odile, présentent pour assister à notre envol. Elles nous communiquent leurs bonnes humeurs.
5 h 10, le départ est donné. Au moment où nous nous apprêtons à traverser la route nationale, un car jaune passe devant nous. Eclats de rire avec Daniel. Et oui, ce serait peut-être plus simple de monter dedans, direction St Philippe. Je sais que beaucoup de personnes peuvent remettre en cause l’utilité de ce genre de défi, chercher une explication sans jamais la trouver. Ce genre de causerie, nous nous en foutons clairement ! Une passion, un besoin, un équilibre à nos vies. Et puis mince, « Il faut se tromper, il faut être imprudent, il faut être fou ! L’Homme n’est pas fait pour être figé. Il faut arriver par discipline à n’avoir que des tentations relativement nobles. Et à ce moment-là, il est urgent d’y succomber. Même si c’est dangereux, même si c’est impossible…. Surtout si c’est impossible ! » (Jacques Brel).
Pour débuter, nous remontons l’axe majeur de la capitale, la majestueuse rue de Paris. La pente est déjà ascendante ! La ville d’histoire est endormie ! Même pas un chien errant ! C’est sûr que ce n’est pas la même ambiance que le départ du Grand Raid à St Pierre. En toute honnêteté, je suis tout autant excité qu’au départ de la diagonale ! Je m’élance pour une sorte de quête personnelle, une rencontre avec l’histoire de « mon » sport. Ce défi a beaucoup de sens pour moi, un besoin de retour aux sources, à l’authenticité de cette pratique.
Les monuments historiques se succèdent ; je ne parle pas de Daniel (quoi que !), je fais plutôt référence aux magnifiques bâtiments, maisons coloniales et autres maisons créoles. A notre droite, la préfecture, l’hôtel de ville, l’artothèque, le musée Léon Dierx, l’Evêché, mon boulot puis le somptueux jardin de l’Etat.
Alors que j’avais prévu 40 minutes pour la première partie, nous voilà à la Providence en 20 minutes. Daniel ne manque pas de me chambrer. Nous en rigolons. Nous laissons la ville derrière nous et débutons le sentier d’entraînement des Dyonisiens, le sentier Mercure qui permet de rejoindre le village du Brûlé.
Je donne l’allure. Au programme, échanges, questionnements, ladilafé, ... Daniel me partage des anecdotes de sa première Marche des Cimes, son équipement de l’époque, son sac, sa lampe de fortune, … Réveil musculaire sympathique, tout en douceur, qui nous permet d’avaler les 700m de D+ et d’atteindre le village des hauts après 1 h 08 de grimpette.
Daniel m’indique qu’une amie à lui nous attend à la sortie du village pour une petite photo ! Il s’inquiète de notre rythme avec la crainte de me freiner. Je lui répète que ce rythme est parfait et que seul, je n’aurai pas été beaucoup plus vite. C’est proche de mon allure ultra. Il ne me croit pas. Il me dit que je vais bientôt décoller. Et voilà notre photographe. Pause photo, sourires ! Les 142 ont de l’allure ! Cette fois, c’est bien le moment de se séparer, d’avancer à nos rythmes respectifs. Je trottine et après quelques minutes, je n’ai plus de Daniel dans mon rétroviseur. Je me retrouve en solo comme à mon habitude. A savoir que 99 % de mes sorties s’effectuent en solo.
Après Mamode Camp (1200 m d’altitude ; pk 12), je croise le dénivien Alain qui me salue et me demande si je vais à la Roche Ecrite. Je rigole nerveusement et lui réponds « oui, et après je vais à Salazie, Mafate, Cilaos, au Volcan puis à St Philippe ! ». Echanges rapides et de suite je pense à Papa lors de son Grand Raid en 2010 car nous avions fait de nombreux kms avec Alain. Arrivée au terminus de la route, je vais pour remplir mes flasques d’eau…. Faudra repasser car le robinet coule à sec. Cela commence bien !
Direction la Roche Ecrite ; 9 kms et un peu plus de 1000 m de D+ à avaler. Au départ entouré par de nombreux cryptomerias, je m’enfonce ensuite dans la forêt de bois de couleurs. Le sentier monte de manière continue mais la pente n’est jamais trop élevée. Je trottine la majorité du temps. Autour de moi des fougères arborescentes, des longoses et des sabres marrons. Les tamarins des Haut font leur apparition, le gite de la plaine des chicots n’est donc pas loin. Me voilà au cœur du parc national. J’aurai mis 1 H 00 depuis Mamode Camp. Endroit paisible, tout en harmonie.
Un peu plus haut, je sors du sous-bois, la végétation laisse place à de grandes plaques de lave. C’est toujours aussi magique. Peu de randonneurs. 8 h 50, je me présente au sommet de la paroi, à 2276 M d’altitude. Bonjour Salazie ! La vue est dégagée sur le cirque. Je me pause, mange un peu et fais des photos, …
Désormais, c’est la descente du Mur. C’est quoi un mur ? Et bien, c’est un truc qui ressemble à cette paroi qui va me faire descendre dans le cirque de Salazie à Grand Ilet. 1000 m de denivelé en l’espace de 2 kms 300. En gros, c’est la descente la plus costaud ( et dangereuse) que je connaisse. Donc, je me mets en mode concentration au maximum. J’ai toujours été stupéfait de savoir que la Marche des Cimes empruntait ce sentier, dans ce sens ! Inimaginable aujourd’hui d’envoyer des coureurs, en course, dans cette descente.
Après cette partie ultra piégeante, je déboule sur la route. Je tourne à droite, direction le centre de Grand Ilet. J’alterne course et marche rapide. Je devais arriver ici pour 12 h 00. « Petit » plantage car ma montre indique 9 h 46 (27 kms). A proximité de l’église (1100 m d’altitude), je fais le plein d’eau et vais faire un tour à la boutique. Je mets mon masque et me prends une petite bouteille de Cilaos, histoire de faire des recharges en magnésium. Il va falloir compenser la déshydratation car Il fait déjà très chaud. La partie à venir est une longue montée de 10 kms jusqu’au Col des Bœufs. Rapidement, je sens que les sensations sont de moins en moins bonnes. Impossible de trottiner, souffle court, jambes lourdes, … C’est quoi ce bazar. L’inquiétude monte, je suis au ralenti. Vers le 35 ème kms, je m’allonge sur la table d’un kiosque.
Pendant 15 minutes, je suis à plat sous cet abri à l’ombre…. Je me dis que le druide Daniel va apparaître. Il aura peut-être une potion magique. Petit appel à Natacha qui m’envoie une vidéo des enfants qui m’encouragent ! Trop chou, le meilleur des remèdes. Hop, je me remets à la verticale et repars de l’avant. Je bois beaucoup car je suis persuadé que tout cela est lié à un coup de chaud. N’ayant plus d’eau, je prends une bouteille à la boutique du parking du col des bœufs. Je discute avec le gardien du parking. Je le préviens que le deuxième 142 ne va pas tarder !
Après 6 h 55, j’arrive au Col des Boeufs à 1956 m d’altitude. Bonjour MAFATE ! Cette fois, les randonneurs sont en nombre. Je ne traîne pas et dévale le sentier en direction de la plaine des Tamarins. Plus les mètres passent, plus je sens que la forme revient. Je profite du décor, le Gros Morne, les trois Salazes, le Grand Bénare droit devant. Je traverse les clairières de joncs entourées par des tamarins majestueux. Ah salut les bœufs ! Ils sont tranquilles au milieu du chemin ! En un peu moins d’une heure, j’arrive à l’ilet de Marla.
Après une pause hydratation, je file vers le Col du Taibit. Beaucoup de randonneurs se questionnent sur ce dossard que je porte. Des regards le plus souvent, des questions parfois. La montée se passe sans encombre (37 mn depuis Marla). Bonjour CILAOS ! Au sommet, comme à mon habitude, je me pose sur ma pierre fétiche. Petite collation à 2081 m d’altitude. Je me sens bien. 2H 00 depuis le col des bœufs. Je gère étape après étape.
Un petit chien noir vient à ma rencontre. Il me regarde manger… Bon je craque et lui file un peu de barre énergétique. Allez, hop, j’ai une belle descente qui m’attends ! Et c’est parti ! Le chien m’accompagne pendant 15 minutes. Je prends beaucoup de plaisir, m’amuse en relançant à chaque virage, en sautant de marche en marche. J’arrive au pied du taibit après 43 minutes de descente.
Et là surprise, je suis accueilli sous les applaudissements de Mireille et Odile. Elles sont aux petits soins. Je profite de ce ravitaillement providentiel. J’en profite surtout pour faire le plein d’eau. J’ai loupé la source Ti Louis. Elles me disent ne pas avoir de nouvelles de Daniel. Je reste à peine 5 minutes et je repars. Le temps est magnifique ! Les touristes m’acclament. Je suis un brin gêné.
Sur la portion qui m’emmène à Cilaos, je lance une visio avec mes parents, mon frère ! Alors que je cours, ils mangent dans la maison familiale en Bretagne ! Bon appétit ! Cilaos, ville magique ! J’avais prévu d’y arriver à 19 h 50. Et bien, il est 15 h 30 ! Alors que je prends des photos des Thermes, je croise Mireille qui, au volant de sa voiture, m’annonce que Daniel est 10 minutes derrière. Je suis stupéfait. Je sais que je ne traine pas. Depuis le col des bœufs, j’ai vraiment l’impression d’envoyer ! Mes chronos me le confirment. Il doit se doper au Chouchen.
La partie suivante s’effectue par la route jusque Bras Sec. Une transition asphaltée où je prends du plaisir à bien dérouler. Le décor est top, top, top. Cilaos, c’est tellement inspirant ! Je m’interroge sur la suite des opérations. Dois-je attendre Daniel. Je pense que Oui, mais d’un autre côté je le sais, il souhaiterait que je continue à mon rythme. Je prends donc la décision de poursuivre et je verrai bien.
Au niveau de Bras Sec, Mireille et Odile ont mis en place un vrai petit stand de ravitaillement. C’est le luxe ! Surprise, Thomas et Nathalie arrivent. Nathalie, ma coéquipière de la Zembrokal 2018, m’informe qu’elle va m’accompagner jusqu’au coteau Kerveguen. Je suis Heureux car la montée à venir est vraiment redoutable. Les grands raideurs savent de quoi je parle !
Le brouillard est présent mais pas la fraicheur. Il fait lourd. L’objectif est de monter à 2206 m d’altitude ! Donc en 2 kms 200, je vais devoir avaler 800 m D+. La montée du rempart, c’est une succession de très grandes marches, de lacets, d’échelles, de portions raides voire très raides. J’ai très peu de points de repères. Nathalie se charge de m’en donner. Alors que j’avance à un rythme continu, nous papotons. A quelques reprises, j’ai besoin de reprendre mon souffle. Nathalie m’informe que Daniel a quitté le ravitaillement 40 minutes après moi. A notre grande surprise, le bleu du ciel apparait.
Après 1 h 10 de grimpette, nous arrivons au Coteau Kerveguen ! C’est magique ! Panorama de carte postale, le Piton des Neiges, la mer de nuages surplombe Cilaos, la plaine des cafres et ses étendues vertes de l’autre côté ! Il est 17 h 45 et cela fait 12 h 35 que j’ai quitté le Barachois. 70 kms et 5500 m de D+. Une envie de me poser. Je trouve un petit coin et m’allonge 10 minutes. Un sms à Natacha pour lui préciser mon estimation d’heure d’arrivée à Mare à Boue, un dernier Merci à Nathalie et j’entame la descente vers la plaine des Cafres.
Contrairement à Daniel, j’aime bien la partie à venir. De la caillasse, du technique, de la boue. Mon défi du moment, allumer la lampe le plus tard possible. Alors, je mets les watts en mode surexcité ! C’est trop bon. Petit moment de plénitude que j’aime à ressentir dans ma pratique. Voici la zone humide du plateau Kerveguen, puis encore de la caillasse, des racines. Je pense de plus en plus aux pionniers, en imaginant leurs états d’esprits après avoir grimpé le Kerveguen.
Et voilà Bras chanson où je veille à éviter la chute. C’est dans cette partie que je m’équipe de la superbe frontale de mon ami Olivier. Un vrai phare pour cette lampe 100 % locale ! Après le passage des échelles, la descente est progressive, boueuse mais beaucoup moins qu’à l’accoutumée. J’adore courir la nuit ! C’est dans ces moments que je suis le plus en connexion avec mes sensations internes, ma respiration, mes mouvements. Le ciel est étoilé, la température encore douce malgré l’altitude (1500 m).
A 19 H 40, j’arrive à Mare à Boue, 80 ème kms de l’aventure (14 h 30 d’efforts). Natacha n’est pas là… Normal, je lui ai dis que j’arrivais entre 20 h 00 et 21 h 00 (sachant qu’à la base elle devait venir à 1 h 30 du matin…). Pas d’inquiétude, je m’adapte et continue ma route. Un km plus loin, une lumière se rapproche,… c’est Natacha et Léane. Pendant dix minutes, je me ravitaille, me change intégralement en m’équipant chaudement. Certes je n’ai pas froid mais je sais où je vais et me doute que je vais bien cailler. Je prends également des réserves d’eau car je n’aurai plus de point d’eau jusque St Philippe (donc 45 kms sans possibilité de faire le plein). Je me charge de 3 litres d’eau et boissons d’effort. Je mange des pâtes, fais des bisous et repars en direction du Volcan ! Merci à mon assistance de choc, des Amours !
Du bitume jusqu’au chalet des pâtres (4,5 kms depuis Mare à Boue), et de nouveau du sentier. Je traverse les prairies en suivant l’étroit sentier entouré de barbelés. Au très loin, le point rouge de l’antenne du Piton Textor. J’ai 700 m de D+ avant d’y arriver. Depuis mon ravitaillement, j’ai mis la musique. Au programme, c’est Bal la Poussière avec musique Bretonne, Réunionnaise et Mauricienne. Seul au monde…. Pas toujours. Les vaches affalées dans l’herbe grasse me regardent d’un air songeur. Au loin des frontales …. Non, les étoiles ! Je passe quelques ravines et l’herbe laisse place aux grandes marches terreuses, puis à la caillasse. Les montées se succèdent et le décor devient de plus en plus minéral. J’arrive au Piton Textor. La foule est en délire ! Je parle des crapauds. J’hallucine ou pas….
Je poursuis en direction du point culminant de cette Marche des Cimes, l’oratoire Ste Thérese. Le sentier se poursuit dans les branles verts qui voient leur taille diminuer à mesure que l'altitude augmente. La pente est souvent forte sur un sol parfois constitué de terre friable et glissante, parfois de cailloux et parfois de plaques de lave. La zone du Bois d’Ozou est vide de randonneur ! Vu l’heure, je crois que c’est plutôt normal.
Allez, encore 20 minutes de montée ! Peu de temps après la stèle dédiée à Josémont LAURET, je me surprends à évoluer sur une piste, ressemblant étrangement au chemin des Anglais. Après 10 minutes, je comprends que je suis sur un mauvais chemin. Je fais demi- tour en mettant ma lampe en éclairage maximal, trouve une trace que je suis. Me voilà dans une petite caverne (celle des lataniers ?)…. Bref, après 30 minutes, je retrouve enfin le bon sentier ! Au niveau de l’oratoire, 2400 m d’altitude, je m’improvise un petit pique-nique nocturne (22 h 00). Je suis étonné par mon relatif bon état physique malgré les presque 17 h 00 d’efforts. Petite pensée pour Gilles Trousselier qui avait remporté la Marche des Cimes de 1989 en 16 h 02 ! Le second, le mythique Laurent Smagghe avait mit 18 h 30.
J’entame la descente en lacets et parvient à l’un des joyaux de l’ile, la plaine des sables. Je passe en quelques secondes d’une zone verdoyante à un désert où ne pousse que quelques branles miniatures. La scène me parait surréaliste et j’adore. Courir sur la plaine des sables au milieu de la nuit. Chacun son trip, hein !
Des milliers d’étoiles m’observent évoluer droit devant sur un sentier plat et sableux. Je me dirige vers la Griffe du diable, effectue la courte montée qui m’emmène sur la piste du volcan.
Vers 22 h 40, j’arrive au parking qui longe cette piste. Je suis proche des 100 kms. Cet endroit est l’ancien poste de ravitaillement du Grand Raid. De nombreux souvenirs me reviennent en tête (2008,2009,2010 !). A ma grande surprise, les deux drôles de dames sont là ! Après m’avoir donné des nouvelles de mon acolyte, elles m’informent qu’il fait 2 degrés et me proposent à manger, à boire…. Je décline. Je ne reste même pas une minute ! En fait, mon esprit est déjà projeté sur la longue descente qui me tend les bras. Selon ma feuille de route, il me reste 3 h 20 jusque St Phillipe.
Je prends le GR R2, sentier qui croise à plusieurs reprises une piste. Le balisage est de qualité. Je reste vigilent pour ne pas faire une mauvaise chute. Sous mes pieds, de la scorie, du graton, des coulées de lave lisses en cordées.
J’arrive à l’intersection après 40 minutes depuis le parking. Je suis agréablement surpris. Un beau panneau m’indique le chemin à prendre pour me diriger vers le gite de Basse Vallée. Il faut aller à droite, laisser le GR à gauche. Je vais donc à droite, continue sur la piste et au bout de 5 minutes, je retrouve le GR…. Je reviens sur mes pas, tourne en rond, puis en carré, puis en losange… Je cherche ce putain de sentier !!! 20 minutes plus tard, je m’attarde à proximité d’un vieux piquet en bois et décide de m’aventurer sur les cailloux alentours. Une trace se dessine, et après une centaine de mètres, je tombe sur un marquage au sol !
Il est bientôt minuit et je m’élance sur le sentier Jacques Payet. 12 kms de descente (1600 MD-) jusqu’au gite de Basse vallée. Une découverte, une sacrée découverte ! Et encore, d’après Daniel, j’ai eu de la chance car le sentier était plutôt praticable (beaucoup plus sec par rapport à ces précédents passages). Je regarde ma montre car j’ai prévu une descente de 1 h 20. Là, j’ai plané.
Plus je descends, plus la végétation devient luxuriante et humide ! Après avoir glissé sur la caillasse, je patine dans la boue en sautant de très hautes marches naturelles. Je saute d’une racine à l’autre, dévale la pente en m’accrochant dès que je peux à une branche. La végétation est de plus en plus dense. Les fougères se multiplient, les branles sont remplacées par des pimpins de hauts puis par des tamarins des hauts et les goyaviers. Ce sentier est très usant. Au bout de 1 h 30, le sentier devient moins technique. De longues portions roulantes se succèdent.
Après deux heures, je traverse une ravine (ravine bras panon), sors du sentier et déboule dans un champ de canne. La pente est toujours forte. Je descends sur une piste entre les champs de canne mais pas de gite ! Une grande ferme sur ma droite, je ne comprends pas ! J’apprendrais plus tard que j’étais dans les hauts de st joseph, en haut du village de Jacques Payet, finalement très proche de la rue Claude Marion…. Je tourne pendant 15 minutes, essaye de trouver un sentier, un chemin, une route. Mais rien…. Je remonte une piste et trouve enfin un sentier. Ouf me voilà prêt à continuer ma descente. Mais un soucis de taille se présente, je ne fais que monter…. Au bout de 15 minutes, je repère un drôle d’arbre que j’ai déjà vu…. Ce n’est pas possible, je remonte le sentier Jacques Payet !!!!!!! Panique, j’appelle Daniel.
Mon telephone n’a quasiment plus de batterie. « Daniel, je suis perdu ». Il essaye de repérer ma position et pense que j’ai loupé l’intersection vers le gite. Il me conseille de remonter alors que j’étais en train de redescendre. Allez demi-tour, je remonte. Après 20 minutes, je trouve un petit sentier qui part sur le côté ! Aucun panneau ! Je descends le rempart avant de franchir la ravine de basse vallée. Dernière montée qui se ponctue par une grande échelle. J’arrive enfin au Gite de Basse Vallée (600 m d’altitude). Gros soulagement ! Cela fait partie du jeu ! J’ai dû perdre 50 bonnes minutes dans cette histoire.
Le final, c’est une belle route forestière de 8 kms. Si les jambes répondent bien, j’avoue qu’il me tarde d’arriver au bout du défi. J’attends avec impatience chaque borne kilométrique, seule point de repère pour m’aider dans ma progression. Le son de l’océan se fait de plus en plus présent. Je souris bêtement et chantonne. J’arrive au Baril, au niveau de la route nationale. Une voiture ! Mon comité d’accueil est bien là ! Natacha et Léane me félicitent ! Je m’allonge direct sur un muret et regarde les étoiles !
Marche des Cimes, j’ai survécu ! J’aurai donc mis 22 h 20 pour effectuer cette traversée Nord Sud. Au final, 125 kms, 7200 m D+
Un peu plus tard, Mireille et Odile nous rejoignent. Elles sont toujours aussi enjouées ! Elles m’offrent un panier garni ! Elles sont géniales ! Pour finir, car c’est une coutume à chacun des mes ultras, je déclare qu’il s’agissait de mon dernier défi de ce type car je suis rassasié. Et comme d’habitude, Natacha répond : « on en reparle demain ! ».
Daniel finira, en forme, en 27 h 22. Il aura mis 7 heures de moins que sa première Marche des Cimes, 31 ans plus tôt. Et quand je pense que quatre jours plus tard, il s’est élancé (avec Mireille) sur une traversée Sud Nord ! Contrôle Technique Validé !
Merci à tous d’avoir partagé de près ou de loin à cette 2 ème édition de la Marche des Cimes !