Dans la voiture en direction de St Pierre, l’ambiance est au rendez-vous. Nous chantons à tue-tête des tubes comme Boumbo pour le plus grand plaisir de Léane, ma petite puce de 2 ans. Rien ne laisse présager que dans quelques heures, nous allons tous être embarqués dans une drôle d’aventure. Ce soir va être donné le départ du grand raid Réunion, édition 2014. Cet évènement est inscrit sur mes tablettes depuis que j’ai franchi la ligne d’arrivée de la Mascareignes, en octobre 2013.
Sur la petite sœur du grand raid, et malgré les 67 kms du parcours, j’avais subi la rapidité de l’épreuve. Bien sûr, j’avais obtenu une belle 33 ème place et surtout une magnifique première place par équipe avec les copains du team Déniv Running Conseil. Mais, j’étais frustré…. Très frustré ! Il me manquait des kilomètres, beaucoup de kilomètres…. Cela a été la confirmation que je suis fait pour l’ultra. Plus c’est long, plus c’est bon ! Ma participation au Grand Raid 2014 était donc une évidence.
Après un mois de repos total puis une reprise en douceur jusque la fin d’année, j’ai entamé des blocs d’entrainements spécifiques m’emmenant jusque ma première course, en mars 2014 lors du Trail de l’Eden. Il est important de prendre son temps, de revoir ses fondamentaux. Pour faire simple, l’idée était de travailler spécifiquement la préparation physique générale de décembre à février, puis la vitesse de mars à début mai, et enfin l’endurance fondamentale jusque mi-septembre. Pour clôturer la préparation, un rappel de vitesse m’apparaissait judicieux. C’est dans ce cadre, que j’ai opté pour la participation à deux courses de moins de 30 kms. A partir de là, j’ai baissé la charge d’entrainement jusqu’au jour J. Il ne faut pas arriver fatigué sur la ligne de départ, ce qui est le cas de bien trop de coureurs ! Il ne faut pas tomber non plus dans l’extrême en ne faisant plus rien. Le duo psychocorporel a besoin de se faire rappeler à l’ordre, de comprendre que ce n’est pas encore l’heure de s’endormir.
Pour faire un premier bilan de de l’année écoulée, et bien c’est la satisfaction qui m’anime. Avant ce grand raid, je peux déjà dire qu’il s’agit de ma meilleure saison de trail, la plus aboutie. Hormis une alerte mi-mai avec un début d’aponevrosite plantaire, qui a eu l’avantage de me faire réaliser un check up avec ostéo et podologue, je n’ai pas été gêné dans ma préparation et donc dans ma progression. D’ailleurs, je tiens à remercier Claude Ivars, l’artiste empirique, l’enchanteur de la semelle ! Il m’a remis sur pied. Une belle 13 ème place sur la 974, une 10 ème sur le trail vert bleu, une 25 ème place sur le raid tui tuit et une 9 ème sur le trail urbain de St Denis. Je suis donc en toute confiance. En ce jour d‘examen, je n’ai plus qu’une seule interrogation. La programmation de ma préparation était-elle à la hauteur de mes ambitions ? La course va être un juge impitoyable. Je me prépare toujours avec l’objectif d’arriver avec mon pic de forme le jour J. On verra bien.
En approche de la capitale du sud, je lance un « ah non, quel con ? ». Natacha inquiète me demande « quoi ? » « tu as oublié quoi ? ». Je réponds « le gâteau sport, quel con… ». C’est sûr, ce n’est pas grand-chose mais pour moi c’est beaucoup. Comme de nombreux coureurs, je suis très ritualisé surtout dans les dernières heures avant un ultra. Tout est millimétré, et là je considère cet acte manqué comme le début des ennuis. A ce moment, la préparation mentale prend tout son sens. Je me remobilise rapidement, recherche des solutions et en trouve une. J’emmène tout le monde à Décathlon et trouve mon bonheur, des cookies d’avant course. Je vais déroger à ma règle de ne jamais introduire de la nouveauté pendant une course, mais là, c’est un cas de force majeure. Il faut sauver le fou arnaud.
Désormais, je prends la direction de la Ravine Blanche où l’on trouve facilement une place pour se garer. Trop simple, tu parles, il est 17 h 30, il n’y a pas foule. Il faut dire que le départ sera donné à 22 h 30. Surprise, je trouve Noé qui se détend dans un coffre d’une voiture. Je le salue, l’encourage, lui donne mes derniers conseils. Depuis quelques mois, j’entraine ce sympathique coureur de La Montagne. Il va faire son premier grand raid et va en épater plus d’un. Les entrainements laissent présager d’un gros potentiel avec une marge de progression très intéressante. En plus, c’est un mec adorable, ce qui rend cette collaboration vraiment plaisante.
Mais comme je lui ai dit et répété, il ne faut pas qu’il se trompe d’objectif. Il faut qu’il reste sage, qu’il arrive à contenir sa fougue, qu’il se focalise sur son but, ce qui le fait rêver à savoir la médaille de finisher. C’est son premier grand raid et c’est déjà un objectif de taille. Après cette rencontre qui donne le sourire, j’opte pour une petite sieste. Mes parents vont faire une ballade avec Léane. Nath se repose elle aussi. Je ferme les yeux et essaye de faire le vide car le sommeil ne veut pas de moi.
18 h 30, les choses sérieuses débutent. C’est l’heure du repas. Je mange ma salade de riz avec le thon et le maïs. La sauce préparée par chérie est excellente. La nuit tombe, les raideurs apparaissent. Ils sont reconnaissables à leur accoutrement. Le stress commence à me gagner. Alors que je commence à installer tout mon bordel, Philippe Noel fait son apparition. Je le trouve serein. Déjà en tenue, il m’écoute, moi le bavard. Je l’informe de mon bon état de forme, que j’envisage de finir à 12 h 00 le samedi (petit mensonge puisque ma fiche de route me fait terminer samedi mais à 9 h 05), que je connais la difficulté de l’épreuve et n’hésiterais pas à passer du mode performer à finisher si il le fallait. Je veux finir mon 4 ème grand raid, tout comme lui. Philippe me dira après la course : « j'ai aimé l'échange qu'on a eu avant le départ à St-Pierre : tu visais l'excellence mais respectais assez le Grand Raid pour savoir que ça pourrait aller de travers mais, dans ce cas, tu voulais à tout prix finir. »
Oui, je veux finir et je finirai. Dans ma tête résonnent les mots de ma sœur « Donne-toi à fond, le pire ennemi c’est nous-même. Il faut être plus fort que son moi intérieur qui veut abandonner à chaque difficulté ». Je le sais, il faut rester humble face à ce géant, à cette diagonale ou plutôt à ce zigzag des fous.
Voulant commencer à me préparer, j’abrège cet échange bien sympathique. Je rentre dans ma bulle, en enchaînant différents rituels. Pour ce départ, au niveau de l’équipement, j’ai opté pour un collant skin, des chaussures Adidas riot 5, un t shirt seconde peau, un t shirt manches longues asics, des bas de contention Compressport. Le choix de mon sac s’est porté sur le Raidlight 10 l, très confortable que l’on peut comprimer selon ses besoins. Je n’aurai pas de poche à eau durant la course, me limitant à mes bidons de 500 ou 750 ml.
Avant d’enfiler tous ces vêtements, je me badigeonne presque intégralement de crème anti-frottement Nok. Je préfère m’en mettre plus que pas assez que ce soit sur les pieds, les cuisses mais aussi le bas du dos, le ventre, les aisselles, …. Et j’en passe.
19 h00, le moment est venu. Allez, c’est l’heure, le sas coureur vient d’ouvrir, je ne veux plus attendre. Je ne choisis pas d’entrer au dernier moment. Je préfère y être le plus tôt possible pour ne pas stresser inutilement. Je fais un dernier bisou à tout le monde. Ce moment est toujours particulier, emprunt d’émotions.
Vu que je n’ai pas de sacs d’assistances à déposer, je double la cinquantaine de coureurs qui attendent leur tour.
Et me voilà au contrôle des sacs. Les deux jeunes filles sont pointilleuses. Pas de souci, j’ai tout ce qu’il faut. Dès ce passage obligatoire franchi, je m’approche de la ligne de départ. Le SAS est relativement vide. Je suis dans les premiers. Toutefois, une dizaine de coureurs sont déjà assis, positionnés derrière une barrière à proximité du podium de Réunion Première. Je me pose moi aussi. Il est 19 h 30, il me reste trois heures à attendre.
Je m’hydrate, effectue des exercices de relaxation, de légers étirements, lis le journal. Puis, j’observe amusé deux jeunes bénévoles qui ont la lourde tâche de conserver un couloir au milieu des coureurs afin de permettre aux VIP de pouvoir passer et repasser.
Les journalistes débutent leurs interviews, le direct de Réunion Première indique que l’heure approche. La scène s’anime avec le passage de jeunes artistes comme Emilie Ivara et le chanteur de batker avec sa nouvelle chanson dédiée aux raideurs.
Un journaliste essaye de faire monter l’ambiance pour avoir de belles photos. Il fait un flop, nous sommes tous silencieux, concentrés sur le défi qui nous attend.
J’aperçois Natacha et Léane qui sont toute proches. On se lance des « coucou ». Léane chante des « allez papa, allez papa ». Tiens, Fabrice et sa petite famille me font la surprise de leur venue. Après cette échappée psychique, je me reconcentre. Je ferme les yeux, visualise ma fiche de route. Je me répète mes différents temps de passage, me récite l’ensemble de mes ravitaillements prévus sur mes 34 h 35 de course. Ce temps, c’est ma prévision la plus ambitieuse. Je l’ai établi sur la base de mes reconnaissances, de mon état de forme actuel mais aussi avec l’aide de Sully, un mathématicien passionné de trail et de chiffres.
Le premier coureur avec dossard préférentiel arrive. A mon grand étonnement, ce n’est pas une élite. C’est plutôt un boulimique de courses. Il a déjà réalisé plus de 25 épreuves en 2014. Je ne parle pas de Gino mais de Daniel Guyot, un V2, dionysien, originaire de Bretagne que je croise sur toutes les courses auxquelles je participe. Il cause un tas, c’est peut-être le père de Gino ! Je lui demande comment il a fait pour avoir ce dossard. Il me répond (attention c’est énorme) « l’organisation m’invite tous les ans ; moi je ne demande rien. Ils pensent que j’ai ma place dans le SAS car j’ai déjà terminé plus de 20 Grand Raid». Je suis à côté d’une des légendes de la diagonale. Bravo à lui, pour cet exploit mais aussi pour sa simplicité. Finalement, il préfère rester à mes côtés, et cela durant une heure. Ensuite, un peu gêné, il se décide à se mélanger aux élites. Une heure avant le départ, nous nous levons sans raison particulière. Je m’appuie contre la barrière, ce qui me fatigue à minima.
Les VIP de la politique font leur apparition. Cela me fait penser au film de la cité de la peur. « Et voilà la sous-préfète…… et revoilà la sous-préfète ». Ils s’offrent un bain de foule, passent et repassent. Alors que je trouve la scène ridicule, certains collègues font tout pour avoir leur photo avec Nassimah ou encore Michel, Daniel,….
Les élites arrivent un par un. Certains enchaînent avec un direct télé. C’est le cas de Marcelle Puy, Antoine Guillon, François D’haene, Pascal Blanc, Christine Bénard. Quel plateau cette année, cela fait rêver ! Juste devant moi je reconnais Julien Chorrier, Iker Karrera, Freddy Thevenin, la star japonaise Tsuyochi Kaburaki, Nathalie Mauclair, l’américain Jason Schlarb, le lituanien Gerdiminas Grinius, Xavier thevenard, le norvégien Sondre Amdahl,….
Photos Pierre Marchal, pour le site zinfos 974
J’attends avec impatience l’arrivée d’un coureur, il s’agit d’un breton plus exactement d’un costarmoricain, Jérôme Lucas. Nous sommes originaires du même village en Bretagne. C’est un excellent coureur à qui je prédis une place proche du top 10, même si il s’agit de sa première diagonale. Il arrive, je suis rassuré. Je lui fais de grands signes pour qu’il me repère, sans succès.
A mes côtés, la tension est palpable. Les corps se rapprochent, se collent. Gilbert Ah Fat est tout proche, je le salue. Eddy Myrtal joue un coup de bluff, amadoue les bénévoles et entre dans le SAS préférentiel.
20 minutes avant le coup d’envoi de cette 22 ème édition du Grand Raid Réunion, les élites se dirigent vers la ligne de départ officielle. Robert Chicaud fait un discours en nous annonçant une belle nuit étoilée, une petite farine de pluie dans les hauts et du soleil pour la journée de demain. Je crois qu’il a été mal renseigné… Les bénévoles nous demandent d’être disciplinés au moment où ils vont enlever les barrières. L’excitation monte. Les barrières sont enlevées une à une. Et tout à coup, me voilà en train de courir ! Nous avons une cinquantaine de mètres à parcourir pour se placer. Sous les clameurs du public, j’étends mes bras tel un oiseau, je suis chaud comme la braise. Et voilà, la ligne de départ. Je m’avance au cœur des élites et me retrouve en cinquième ligne ! Devant moi, la reine Marcelle. Plus que 10 minutes avant le départ.
L’ambiance est électrique. Ludovic Collet au micro enflamme le public et les coureurs. Je me surprends à faire quelques pas de danse sur de la musique techno. L’hymne de la course est lancée à une minute du départ. L’émotion me gagne, j’y suis, je vais m’élancer pour mon quatrième grand raid. Mes certitudes s’évanouissent. Je suis au milieu de la foule mais si seul devant ce défi. Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer, sachant juste que je vais vivre des beaux et moins bons moments durant 172 kms.
Le maire de St Pierre commence le décompte mais il a du mal à suivre. J’esquisse un sourire et voilà les fous sont lâchés. Ça bouscule dur, deux coureurs sont projetés à terre.
Je fais quelques sauts, me dégage et me retrouve aux côtés de Marcelle Puy. L’ambiance est énorme ! Cela crie de partout, les encouragements, les lumières, les feux d’artifice, les bruits des kayambs ou autres djembés,…. La clameur du public va nous accompagner pendant plusieurs kilomètres. C’est jubilatoire. Nous sommes acclamés comme des stars. Je profite à fond de cet instant si rare, si magique. Cela fait du bien à notre ego. Je repère l’épée magique de Léane, je me décale et m’agite devant ma team assistance. Je souris, tellement heureux de ce dernier coucou. La course est désormais lancée.
Tout à coup, un coureur me double à vive allure. Mais, c’est Jérôme ! C’est peut-être lui qui est tombé ? Je ne réfléchis pas trop, sprinte, le rattrape, le salue. Il me souhaite une bonne course, je lui renvoie l’encouragement. Je ralentis et me retrouve à nouveau auprès de la reine Marcelle, quintuple championne de l’épreuve.
J’ai l’impression de changer d’identité tellement la foule est en délire. Tout le monde m’applaudit, m’encourage. Mais comment leur dire que je ne m’appelle pas Marcel…
Alors que je m’approche du port de St Pierre, la reine accélère. Bien trop rapide pour moi, je la laisse filer. Il est désormais temps d’adopter mon rythme de croisière. Du coup, de nombreux coureurs me doublent notamment le lituanien, les japonais, Guillaume Le Normand, un groupe emmené par Cécile Ciman et Hortense Bègue. Je me fais la réflexion qu’elles vont difficilement tenir ce rythme.
Puis, Gilbert arrive à ma hauteur. Nous discutons un peu, échangeons sur ce départ de folie. Je lui demande si il sait où je peux pisser. Sa réponse est claire. Je vais devoir attendre les champs de cannes. J’en peux plus mais là il y a tellement de monde ! Je le laisse filer lui aussi. Après Terre Sainte, la route s’élève. Je trottine. La tendance commence à s’inverser. Je double quelques coureurs qui semblent déjà être dans le rouge. Je me retrouve rapidement derrière le groupe des réunionnaises. Cécile est très encouragée.
Et voici ma première victoire, j’arrive aux champs de cannes. Je mets le clignotant et perds une trentaine de places pour la bonne cause. Je reprends ma route et retrouve rapidement ma place derrière les filles. Je les double même et rejoins deux japonais dont Kaburaki. Enorme, ce gars-là me fait rêver et je suis en train de courir à ses côtés. A un moment, un gars derrière crie « dossard tombé ». Je vérifie le mien, pas de souci. Il crie trois fois, puis s’énerve en disant « oh, dossard, vous êtes sourds ou quoi ». Finalement, un autre gars dit « eh les gars, on arrête de s’exciter, il est japonais, il ne comprend pas ! ». C’était Okunomya qui avait donc perdu son dossard. Tout rentre dans l’ordre.
Bassin Plat, 6,9 kms, 140 m d’altitude, 142 ème, 33 mn 42s.
Le premier pointage s’annonce. J’avais envisagé un passage en 42 minutes. Ce que je craignais se vérifie, j’ai explosé mes prévisions. Je passe dans un groupe avec entre autres les japonais Kaburaki et Okunomya, Hortense Begue, Cécile Ciman,... Je traverse le poste de ravitaillement sans m’y arrêter. J’ai ce qu’il faut pour rejoindre Domaine Vidot, dans 8 kms.
Le bitume laisse place aux pistes de terre qui serpentent entre les champs de cannes. Je me sens vraiment bien. Je double les copains de Run Handi Move qui se sont élancés dans un défi hors norme, permettant à des personnes autrement capables de participer au Grand Raid en étant portés en Joëlettes.
De retour sur la route, et alors que les écarts commencent à être significatifs entre chaque coureur, je vois arriver à ma hauteur Lionel Tilmont. Je suis content de le retrouver. Pour son premier grand raid, il se montre ambitieux. A cet instant, je lui conseille de ne pas aller trop vite. La course est longue, et surtout je l’informe que je suis en avance sur mes temps de passage. Nous restons un peu ensemble mais il ne peut pas s’empêcher de reprendre son rythme. L’expérience doit se faire, espérons qu’il ne va pas le regretter. J’arrive à Bérive, un des moments fort de mon grand raid. ENORME. Je traverse une foule sur plusieurs mètres. Les cris, les encouragements, les tapes dans les mains. Cette scène, je la connais, c’est celle que j’ai déjà vue à la télé lorsque les cyclistes du tour de France arrivent au sommet d’un col. Que c’est bon !
Quelques mètres plus loin, je retrouve la quiétude d’un village des hauts en pleine nuit. Je rejoins Kaburaki qui a des soucis de frontale. Des journalistes japonais lui viennent en aide. Ensuite, je vis un épisode surréaliste. Durant une dizaine de minutes, un cameraman court à nos côtés pour nous filmer, ou plutôt le filmer. Ils sont fous ces nippons. Nous arrivons alors à Domaine Vidot. Le ravitaillement a lieu à l’intérieur d’une salle. Je remplis mes gourdes, et je repars de suite. Mon arrêt n’a pas dépassé la minute.
Domaine Vidot, 14,6 kms, 660 m d’altitude, 1 h 36 mn 49, 156 ème.
Pour la première fois depuis le départ, nous nous retrouvons sur un sentier monotrace. Nous nous enfonçons dans la forêt. Un gars essoufflé se satisfait de son départ rapide. Il dit avoir suivi les conseils d’amis pour éviter les embouteillages. Il est parti à fond pour ne pas être gêné. J’ai envie de remettre en cause sa stratégie, je me retiens!
La reconnaissance que j’ai effectuée sur le parcours il y a deux mois est d’une aide précieuse. Je gère mon effort en sachant ce qui m’attend. Je rejoins Julia Bottger, la championne allemande, et décide d’adopter son rythme. Elle est régulière, relance quand il le faut, c’est parfait. Cela me permet de passer tranquillement les passages techniques sans dépenser bêtement de l’énergie. Je veux arriver frais sur la piste forestière de Montvert pour pouvoir m’exprimer pleinement. J’avance donc à son rythme, effectue des exercices de décontraction musculaire, me concentre sur ma respiration, mange, bois.
Dans la partie finale avant la fameuse piste, j’entends une voix qui s’exclame « mais c’est nono ! ». Olivier et Denis, les copains du team Deniv Running Conseil, reviennent sur moi, discutent, ont l’air d’être en forme. Je n’essaye pas de les suivre car leur allure est légèrement trop rapide. Arrivé sur la piste, je lâche Julia Bottger et fais la jonction avec les boys car ils marchent. C’est à ce moment que nous revenons sur deux des membres du team Endurance Shop à savoir Lionel Marc et Alexandre Smith. Nous reprenons la course mais, une nouvelle fois, le rythme est trop rapide. Je me retrouve à nouveau seul, ce qui ne m’inquiète pas, au contraire. Le temps est idéal, c’est un vrai plaisir.
Forêt Mont Vers les hauts, 24,3 kms, 1565 m d’altitude, 128 ème, 3 h 10 mn 51.
Denis, Olivier ont pointé une minute avant moi. Mon ravitaillement express me permet de repartir avec eux. Le vent commence à se faire sentir, je décide alors d’enfiler mon k-way Gore Tex. Nous entamons une succession de longues lignes droites bitumées en montée. Une nouvelle fois, cela commence à être une habitude, je n’arrive pas à suivre le rythme d’Olivier et de Denis. Je laisse les choses se faire. Une de mes règles d’or est de ne s’occuper que de soi. C’est déjà assez dur de s’écouter, s’il faut en plus se préoccuper des autres !
Je pénètre enfin dans les fameux pâturages. C’est du costaud ! Je me penche, appuie sur les cuisses, essaye de ne pas lâcher mon rythme. Il faut être vigilent à ses appuis car les trous sont nombreux. Une lumière puissante se profile au loin. Un groupe de supporters est réuni autour d’un feu de camp géant.
Je me projette déjà sur la partie suivante à savoir la longue piste forestière où je vais pouvoir relancer. La traversée des champs se passe plus facilement que je le craignais, plus rapidement que je l’imaginais. Une fois sur la piste forestière, j’adopte un rythme élevé. Je me sens bien, j’ai envie de me faire plaisir, de dérouler. Je double plusieurs coureurs qui m’avaient doublé dans les pâturages. Alors que je cours constamment, la majorité marche dès qu’il y a un faux plat montant. Je dépasse Guillaume Le Normand, Cléo Libelle. Le temps se gâte. La pluie fait son apparition et le vent se lève drôlement. Je suis en train de participer au remake du grand raid 2009. Plus les conditions deviennent difficiles, plus cela m’avantage.
Piton Sec, 35,7 kms, 1850 m d’altitude, 112 ème, 4 h 49 mn 03.
Arrivé au poste de Piton Sec, je suis étonné de retrouver Gilbert, Lionel, Olivier, Denis, Alexandre. Je ne savais pas qu’un rendez-vous avait été fixé. Ils sont arrivés depuis 3 à 5 minutes. Je bois un verre d’eau, ne remplis pas ma gourde car il m’en reste assez pour atteindre le prochain poste de ravitaillement. Je mets mes gants, mon bonnet et je repars de suite. Mon arrêt n’a pas excédé les deux minutes. Je reprends le chemin avant tous les gars en étant persuadé qu’ils vont rapidement me rattraper.
Je me retrouve rapidement à la tête d’un groupe d’une dizaine de coureurs. La visibilité diminuant, certains profitent de ma connaissance du terrain. La végétation s’exprime en mode minimaliste. Le graton fait son apparition. Je double des grappes de coureurs. Une seule personne me dépasse, c’est Juliette Blanchet. Elle évolue avec aisance malgré les conditions climatiques qui se dégradent. Le silence est de mise. Chacun est concentré sur son effort et ses doutes. Avec la pluie qui s’intensifie, nos frontales perdent de leur efficacité. Je sors donc ma lampe à main pour faciliter mon avancée. Je rattrape et double Juliette Blanchet et Mélanie Rousset, les mauriciens Yan De Marrousem et Jenifer Smith. Plus on se rapproche du Piton Textor, plus les rafales de vent sont importantes.
Piton Textor, 40,1 kms, 2165 m d’altitude,91 ème, 5 h 42 mn 11.
Après 52 minutes d’efforts depuis Piton Sec, j’arrive au poste de Textor tout en sachant que je ne vais pas traîner dans ce frigo. Je m’arrête moins d’une minute, le temps de remplir un bidon. Je ne reconnais personne alors que sur le site se trouve Laurent Delnard qui a pointé quatre secondes avant moi. Si j’avais su, nous serions repartis ensemble!
Des coureurs montrent les premiers signes d’une hypothermie. Un peu normal, en débardeur, c’était couru d’avance ! En ce qui me concerne, je ne ressens pas le froid. Cela est surement en lien avec La qualité de mon équipement, mes pauses réduites aux ravitaillements et mes allures contrôlées.
Je prends la direction de l’antenne du Textor. En tout cas je l’imagine car on ne voit rien du tout. J’emprunte un chemin inconnu. Je me demande si je ne me suis pas égaré. Seul, avec peu de rubalises et les éléments qui se déchaînent, le doute m’envahit. Je ralentis, deux coureurs dont Juliette Blanchet me rejoignent. Ils me doublent et progressivement s’éloignent.
A un moment, j’entends un bruit sur ma gauche, je sursaute. Je braque ma frontale en direction de la sonorité suspecte. Quelle surprise ! Une vache, tranquillement allongée dans l’herbe. Elle me regarde, je la regarde, le temps semble suspendu…
Sur le sentier, je retrouve mes repères. Il fait un vrai temps de normand. C’est dans ce genre de condition que le soleil breton me manque ! J’effectue près de 45 minutes seul. La boue est présente, les appuis fuyants, les relances incessantes. 150 m avant d’arriver sur le chemin bétonné, je dérape et me retrouve au sol. Plus de peur que de mal. Me voilà tout en boue. Je suis donc content de retrouver le béton. Je connais bien ce passage, mais là, c’est l’apocalypse.
Freddy Thevenin :
On ne voit pas à 2 mètres. Le vent est de face, les violentes bourrasques viennent freiner mon avancée. A cela s’ajoute la pluie qui vient fouetter le visage. L’eau recouvre la route. J’essaye d’éviter les grandes flaques mais après plusieurs loupés, je me résigne à aller tout droit. Je reviens sur un coureur à la dérive. Un seul mot d’encouragement lui suffira pour se remotiver, puis me suivre. A proximité de la route nationale, les voitures d’assistance se multiplient. Certains stands sont installés et donnent envie de s’y arrêter. En ce qui me concerne, je dois encore attendre quelques kilomètres. En effet, pour respecter à la lettre le règlement (pas de ravitaillement hors zone), j’ai demandé à la team nono assistance de se rendre sur le site de Mare à Boue. En attendant, je récapitule les changements que je vais effectuer. 1 H 16 après avoir quitté Textor, je pointe à Mare à Boue.
Photos : Pierre Marchal
Mare à Boue, 50,3 kms, 1594 m d’altitude, 82 ème, 6 h 58 mn 05.
Arrivé sur ce site emblématique de la Plaine des Cafres, je retrouve Natacha et Papa sur la route bétonnée, trempés, en plein vent. Je leur demande pourquoi ils ne se sont pas mis à l’abri. La réponse est stupéfiante. Ils n’ont tout simplement pas eu le droit. Je les invite à me suivre afin de me changer sous les tentes vides. Un bénévole nous empêche de passer. J’hallucine, commence à gueuler, puis me reconcentre sur le principal à savoir mon ravitaillement. Je m’assois dans l’herbe mouillée. Nath me met de nouvelles chaussettes, me badigeonne de Nok. Je change de T-shirt, prends mes bidons de 750 ml. Papa me donne mes gels et pâtes de fruits. L’assistance de Juliette Blanchet, qui vit le même épisode, fait savoir aux bénévoles que c’est inadmissible. Bref, personne n’est content.
Je repars après environ 5 minutes de pause humide. Un coup à attraper froid. Mes pensées sont désormais dirigées vers le Kerveguen. Il y a 3 mois sur le raid 974, dans un bon jour, j’avais mis exactement 2 h 00 pour arriver au sommet. Me sentant bien et malgré des conditions plus difficiles, je table sur ce chrono.
Je trottine entre les pâturages, fais des exercices pour me réchauffer. Rapidement, je rattrape un gars en train de marcher. Je reconnais la silhouette de Laurent Delnard. Déjà sur la 974, j’étais revenu sur lui dans cette montée. Nous sommes contents de nous retrouver. Je passe devant et mène le rythme. Nous échangeons sur la course, sur nos stratégies respectives. Au bout d’une trentaine de minutes, je cale. Normal, j’ai zappé la prise de mon dernier gel, le mal est fait. Je ralentis, m’alimente avec un gel coup de fouet, laisse Laurent passer et me lâcher. Je suis impuissant, subis quelques minutes avant que la forme revienne.
Le sentier est boueux. Le ciel est couvert. Il faudra repasser pour la vue sur la ravine de Grand Bassin. J’alterne course et marche. Je me montre très vigilant lors des passages d’échelles mais aussi sur les rochers, devenus patinoires naturelles. Un gars me double sans me calculer. Je reviens sur lui quelques minutes plus tard. Il est assis. A proximité du sommet, deux bénévoles m’encouragent chaleureusement. Je leur renvoie l’encouragement car ce n’est vraiment pas un poste confortable. Me voilà au sommet après 1 h 55 ! Finalement, j’ai été plus rapide que sur la 974. La vue sur Cilaos est bouchée, dommage.
Je souffle un bon coup avant d’entamer la descente très technique qui va m’emmener à Bras Sec. J’adore ce type d’efforts. J’y vais, dérape, m’accroche aux branches, fais des petits sauts. Les lacets et les échelles s’enchaînent. Je m’éclate tout simplement. Rapidement je reviens sur Laurent. Comme il me dit, c’est la deuxième fois que je le réveille. Je prends les commandes. Il me suit facilement. Il s’en veut de ne pas se faire assez violence. Nos discussions me font temporiser. Cela est plutôt positif pour la suite. Il faut bien doser son effort pour ne pas trop casser de fibres musculaires. Toutefois, notre allure nous permet de doubler quelques coureurs. L’un d’eux nous fait comprendre que cela ne sert à rien d’aller trop vite, que la course est longue. Oui, je sais. En 30 minutes, nous avons avalé les 2 kms et les 850 m de dénivelé négatif.
Mare à Joseph, 61,9 kms, 1387 m d’altitude, 73 ème, 9 h 34 mn 44.
Comme à mon habitude, après avoir rapidement rempli un bidon, je m’échappe en express. Je me retourne pour voir où se trouve Laurent. Il est juste derrière et me rejoint. Après avoir marché deux cent mètres, nous commençons à trottiner. Il m’évoque son plaisir d’évoluer à mes côtés, qu’il trouve que je suis, en quelques sortes, un modèle de gestion de courses. S’il le dit, je vais lui faire confiance ! Quant à moi, je lui fais part de mes doutes sur la présence de ma team assistance à Cilaos. Ont-ils eu le temps de faire le long trajet en voiture depuis Mare à Boue !? Réponse dans 30 minutes !
Malgré les faux plats montants, nous continuons à courir. Des touristes nous encouragent. Cilaos est juste en face. Pour y arriver, il faut descendre dans le fond de la ravine pour tout remonter. Nous descendons dans le Bras de Benjoin. Je n’arrive pas à suivre Laurent qui semble avoir un regain de forme. Le passage à gué est immortalisé par les photographes officiels de la course.
L’ascension est courte mais rude. Je monte doucement, sans pression.
Au sommet, j’ai la surprise d’un pointage sauvage. J’exprime ma satisfaction. C’est de cette manière que l’on peut lutter efficacement contre les tricheurs.
Je pénètre dans la cité cilaosienne. Aux abords du centre de vacances, j’ai une grosse pensée pour Eric, mon ami qui nous a quittés au mois de mai dernier. L’année passée, au cours d’un entraînement, il m’avait accueilli avec sa famille sur ce site. Je cours aussi pour rendre hommage à ce colosse des montagnes. Je sais que ses proches sont tous derrière moi, je les en remercie.
Le soleil fait son apparition. Cela fait du bien. A proximité de la Mare à Jonc, les Déniviens m’encouragent, me demandent si je veux m’arrêter. Un petit signe négatif avant de rajouter « merci, désolé, on m’attend au stade ». En tout cas, je l’espère !
J’arrive au pointage sous les hourras de Carole, une dénivienne toujours souriante. Ma première partie de course est terminée et le bilan est déjà positif. Je voulais arriver frais, je le suis.
Cilaos, 65,9 kms, 1210 m d’altitude, 71 ème, 10 h 06 mn 32.
Je traverse le stade au pas de course. A la sortie, j’ai la joie d’apercevoir ma team assistance. Ils ont failli me louper mais ils sont bien là.
Je fais un bisou à Léane. Je suis serein, fais un premier débriefing. Tout le monde est à mes petits soins, que demander de plus. Je me change intégralement, mange des Tucs et des petits Lu. Gilbert, qui vient d’arriver, se ravitaille avec ses proches. Les yeux rivés sur la montre, je reste vigilant afin ne pas rester trop longtemps. Ma pause ne dépasse pas les 10 minutes.
Dans mon esprit, c’est bien une nouvelle course qui débute. Celle-ci va m’emmener jusqu’au kilomètre 102 à savoir le Col de Fourche. Mon arrêt « au stand » me permet de repartir tout sec, ce qui n’est pas négligeable pour la suite de l’épreuve. Je me sentais déjà bien, je me sens encore mieux ! A l’aide de mon portable, je commence à écouter la radio, RER bien sûr. Ça capte difficilement. J’arrive toutefois à avoir quelques informations sur la tête de course. Celle-ci se trouve entre le gite du Piton des Neiges et le gite de Bélouve.
Après avoir signifié mon départ, je traverse Cilaos avec Véro Chastel. Elle s’interroge sur le parcours à venir. Je lui fais lever la tête et l’informe que la suite va se passer tout là-haut, dans les nuages ! Suite à l’éboulis dans la montée du Taibit fin août, les organisateurs ont proposé un nouveau parcours. Nous prenons désormais la direction du gite du Piton des Neiges via la montée du Bloc. Pour commencer, nous devons parcourir 4 kilomètres sur la route. J’alterne la marche et la course. Je me retrouve rapidement seul. Ah non, un inconnu se place à mes côtés, avance à mon rythme, m’encourage. Il ne porte pas de dossard. Je suis un peu gêné quand je croise des bénévoles, car je ne veux pas que l’on pense que je suis aidé par un lièvre. Je précise encore une fois que je ne connais pas ce monsieur !
Sur la transition bitumée, je module mon allure afin de ne pas perdre trop de temps mais aussi de ne pas me griller.
Au bloc, 69,8 kms, 1387 m d’altitude, je pointe en 58 ème position, après 10 h 45 mn 07 de course.
Le sentier débute sous de grands cryptomerias. Je n’en mène pas large car c’est typiquement le type d’efforts qui me met en difficulté. Je dois avaler 1000 m de dénivelé positif en 5 kms. La première partie de l’ascension se passe au cœur de la végétation, entre les bois de couleurs. Il s’agit d’une suite de grandes marches. Sur cette portion, j’adopte un rythme régulier. Pour la première fois, je commence à gamberger. Je me fais rattraper et déposer par quelques coureurs. Alors que je connais bien cette ascension, je perd tous mes repères en me voyant toujours bien plus haut que je ne le suis vraiment.
Arrivé au Plateau du Petit Mahatarum, mi-pente, je fais le plein d’eau en utilisant le tuyau marron. Tel un zombie, j’entame la seconde partie de la montée. J’avance pas après pas, avec une seule obsession : le sommet. Obligé de débrancher le cerveau pour rester zen. Les lacets se succèdent, les hautes marches aussi ! Lorsque j’aperçois enfin l’oratoire, je suis soulagé. C’est une bonne chose de faite. Je remets mon K-way car le vent refait son apparition. A mon arrivée à la Caverne Dufour, Vero Chastel et le japonais Okunomya me rejoignent.
Gite du Piton des Neiges, 74,8 kms, 2478 m d’altitude, 66 ème, 12 h 29 mn 45s
En repartant du gite, je décide d’adopter un autre rythme, celui de la prudence. En effet, les 10 kms qui vont m’emmener jusqu’au gite de Bélouve sont très techniques et donc piégeux. Ce serait dommage de se blesser, de casser le joli jouet que je suis en train de me construire. Pour débuter, jusqu’au Cap Anglais, je dois évoluer sur un sol instable avec de nombreux cailloux. Je suis agréablement surpris car le sol n’est pas si glissant que je le craignais. Il faut quand même jouer à l’équilibriste et cela pendant 3 kms. La concentration que cela nécessite engendre de la fatigue. Je dépasse Véro Chastel qui n’est vraiment pas à son aise.
Le paysage est bien différent de celui que j’ai traversé dans la montée du Bloc. Avec l'altitude, la végétation est plus rare, plus rase. Plus les branles augmentent de taille et plus on se rapproche du rempart donnant sur le cirque de Salazie. A quelques reprises, profitant d’une percée dans la brume, j’entrevois le sommet du Volcan.
Après cette partie dans la caillasse, je me retrouve dans une belle zone boisée de forêt primaire très humide. Les glissades sont fréquentes. La progression est facilitée par l’énorme travail des agents de l’ONF qui ont aménagé le sentier. Ainsi, pour franchir les obstacles naturels, j’utilise les nombreuses échelles et passerelles mises à la disposition des randonneurs. Si la majorité du chemin est en descente, nous avons droit à des petites surprises avec quelques « murs » à escalader. C’est des marches pour les plus grands des géants. Parfois, je retrouve de belles lignes droites, ce qui me permet de relancer, de retrouver un peu de vitesse.
Au milieu de la végétation luxuriante, je me retrouve aux côtés de trois bénévoles. Ils ont installé leur campement au milieu de nulle part. Pour le coup, ils sont très isolés. Je leur souhaite bonne chance car la nuit risque d’être compliquée.
Un jeune coureur revient sur moi, il ne me reconnaît pas. Je l’interpelle puisque nous avons fait une reco dans un groupe commun il y a deux mois. C’est Christopher Camachetty. Il est en forme, veut finir son premier grand raid, d’autant plus qu’il a appris l’abandon de sa coéquipière d’entraînement, Marcelle Puy. Je l’informe que nous sommes très bien placés et qu’il ne faut pas qu’il se grille. Il me demande notre place. Après lui avoir répondu, il me croit difficilement pensant être dans les 300. Comme son rythme est plus élevé que le mien, je lui souhaite une bonne continuation. Il aura suffi de quelques secondes pour que je ne l’aie plus en visuel.
Je déboule sur la piste forestière qui va me mener au Gite. 900 mètres où je cours en essayant de me relâcher au maximum.
Gite de Bélouve, 83,3 kms, 1500 m d’altitude, 67 ème, 14 h 17 mn 47s,
Arrivé au gite, je retrouve Christopher. Nous entamons la descente ensemble. Ce qui nous attend : une plongée vers Hellbourg, 500 m de dénivelé plus bas. Je mène la première partie avant de le laisser passer. Je pense le freiner, mes impressions se vérifient.
Si le temps est couvert sur Hellbourg, il ne semble pas pleuvoir. J’ai hâte de retrouver ma petite famille. Ma seule interrogation, c’est la présence ou non de Léane qui n’a pas bien supporté la route de Cilaos. Ils auront peut-être décidé de scinder le team nono assistance en deux équipes selon l’état de la petite.
Christopher m’a lâché. J’entends des applaudissements. La civilisation est donc toute proche. Bienvenue à Hellbourg ! Je retrouve le bitume, me fais encourager. Les proches des coureurs ont investi les lieux, en mettant en place différents stands d’assistance. Je double donc des coureurs en train de se ravitailler. Profitant des 800 m de route, je reviens sur Christopher et sur Frederic Oyaga. Nous pointons ensemble à Hellbourg.
Hellbourg, 87 kms, 1000 m d’altitude, 60 ème, 14 h 55 mn 25.
Kaburaki qui se ravitaille (phot : Pierre Marchal)
Léane est bien là, je suis heureux. Alors que je m’apprête à m’asseoir sur un banc, un bénévole m’interpelle et me dit « non c’est pour les bénévoles ». Je reste sans voix…. Ok, je me pousse et décide de m’installer au sol pour me faire ravitailler. « Non, il faut sortir de la zone ». Sachant que la zone occupe tout le parking. Là, je ne reste pas sans voix. Je lui dis poliment que je me suis fait un point d’honneur à respecter le règlement en demandant à mes proches de me ravitailler sur les sites officiels de pointage. Je lui dis que ce règlement ne sert donc à rien, que la prochaine fois, je ferai comme tout le monde en utilisant des endroits confortables comme lieux d’assistance. Et là, il me dit d’un air hautun « Nous n’avons pas dû lire le même règlement ». Je me lève, me dirige vers lui et lui dis en élevant la voix « comment ?, qu’est-ce que vous dites ? ». Mes parents me prennent pas le bras et me disent de laisser tomber.
Je me résigne donc à sortir de la fameuse zone. Je trouve un bout de trottoir et commence enfin à me ravitailler. Je peste, exprime mon mécontentement. Les « blagues » de Léane me permettent de passer à autre chose. Elle s’amuse, semble en forme. Je change intégralement de tenue.
Dans l’optique de la nuit à venir, je place, dans mon sac, des manchons, des gants et un bonnet. Quant à ma frontale, pour avoir une vision optimale sur une longue durée, je prends une batterie déportée. Je privilégie le confort au poids. En ce qui concerne la nourriture, je pars léger. J’ai la chance d’avoir une amie qui va me ravitailler à la Plaine des Merles. C’est la responsable paramédicale de ce poste. Dans la semaine, j’ai fixé le rendez-vous à 17 h 30. Il va falloir tenir mes engagements.
Je laisse mon téléphone portable et prend mon MP3. Alors que je m’étire, le japonais Kaburaki reprend la route. Il a les deux genoux strappés. Christopher, lui aussi, prend la direction d’Ilet à Vidot. Je me lève, fais le point, pour être sûr de rien avoir oublié. Je croise Laurent qui vient d’arriver sur le site.
Mon arrêt n’a pas excédé les 10 minutes. Je suis à nouveau prêt pour en découdre. Mon souhait, depuis Cilaos, est de passer le Col de Fourche de jour pour éviter le froid et pouvoir profiter de la vue sur Mafate. Mon autre motivation est d’allumer ma frontale à Marla pour pouvoir avancer à bonne allure du côté de la Plaine des Tamarins. Pour le moment, je peux tenir ce double objectif.
Au départ de Hellbourg, j’entame 4 kms 500 de bitume et de béton jusqu’au parking de la passerelle Trou Blanc. Je cours sur l’intégralité de cette portion. La musique dans les oreilles, j’évolue sur une autre planète ; Je plane dans ce décor de fou. Le Piton d’Anchaing s’érige comme maître des lieux.
Sur la partie finale, la descente présente une pente impressionnante. Cela tape dur. Je reviens sur Kaburaki qui est au ralenti. Je l’encourage et continue mon chemin.
Je m’éclate jusque la passerelle car je sais que c’est de longues parties de marches qui m’attendent. Je pense que les sentiers à venir vont faire très mal à de nombreux coureurs. Le chemin jusque la Plaine des Merles a été sous-estimé par beaucoup. Au moment d’entamer cette partie, je suis persuadé qu’il s’agit d’un des points-clés de ce grand raid.
Ne voulant pas subir, je me mets en mode rando. Sur une large piste, j’avance tranquillement car la pente est souvent sévère. Etonnement, je reviens sur un coureur. C’est Simon Desvaux, le champion mauricien, vainqueur du dernier Royal 80. A croire que mon rythme rando est plutôt correct en ce jour de grand raid !
J’avais prévu 1 h 15 du stade de Hellbourg à Ilet Mare d’Affouches. Je mets finalement 1 h 05. Le ravitaillement se passe dans la bonne humeur. Cela donne envie d’y rester. Au départ de ce poste, nous prenons la direction de Grand Sable. Simon Desvaux me lâche. Le fait de me retrouver de nouveau seul me permet de reprendre mon rythme de croisière.
A l’ombre des filaos, j’alterne marche et course. Le temps est idéal. Après une courte descente, je traverse le bras de la rivière Fleurs Jaunes. Je ne tombe pas dans l’eau, ce qui est inhabituel pour moi.
Toute la partie qui suit s’effectue en montée sur un sentier monotrace avec des pentes fortes, des lacets courts et de hautes marches. On longe la ravine de Grand Sable puis on grimpe au-dessus de la vallée de la rivière des Fleurs Jaunes. Je garde un rythme régulier, sans faire de pauses. Je dépasse plusieurs coureurs dont Simon Desvaux, Fabrice Armand et le britannique du team Scott Air Stuart. Ce dernier me pose une question en anglais. Je lui dis en franglais que je n’ai pas compris, ce qui le laisse interrogatif…
J’aperçois un de mes points de repères à savoir la cascade qui tombe du captage de la Ravine des Merles. S’en suivent de fortes pentes, des traversées de rivières. Et voilà la partie que je trouve la plus compliquée à savoir une montée très rude avec des marches hautes. La progression entre les bois de couleurs annonce la proximité de la piste, route forestière du Haut-Mafate.
Je me motive et trottine jusqu’au poste de ravitaillement.
Plaine des Merles, 101,3 kms, 1820 d’altitude, 63 ème, 18 h 18.
Au moment où je pointe, les bénévoles signalent mon arrivée à Geneviève. En quelques instants, je me retrouve entouré par tous les infirmiers du poste. Ils me chouchoutent. Je me rends sous la tente et m’assois sur un lit picot. On m’apporte une soupe chaude et on me pose une bouteille bouillote sur les jambes. Geneviève me donne mes gels. Amandine, une ancienne collègue, prend de mes nouvelles. Antoine, présent lui aussi sur ce poste, me demande si j’ai besoin de quelque chose. Il est enthousiaste de mon début de course, m’annonce mon classement, m’informe que de nombreux coureurs ne sont pas en grande forme. Il rigole du fort soutien féminin dont je bénéficie. Il prend une photo qu’il publie en direct sur Facebook.
Ma pause, qui s’avère être mon plus long arrêt du grand raid, a duré 15 minutes. Au moment où je me dirige vers le Col de Fourche, j’ai le droit à une ovation d’une grande partie des personnes présentes. Cela fait chaud au cœur.
C’est au départ de ce poste que je réalise que je suis très en forme, pas du tout marqué par les kilomètres. Je vais passer le sommet de jour, objectif atteint. Cette montée ne me pose pas de difficulté. Au col, je me donne 20 secondes pour apprécier la vue sur Mafate. En face, tout au loin, Marla. Il faut que j’y arrive de jour.
Allez go. Dans la descente, je reviens sur l’espagnole Néréa Martinez.
Elle galère, dérape, ses appuis ne sont pas assurés. A plusieurs reprises, elle est proche de la chute. A proximité de la Plaine des Tamarins, je la passe et j’accélère. Le sol est sec, j’envoie du bois. J’adore cette partie du parcours. C’est tout simplement magique.
Marla, 106 kms, 1580 m, 19 h 55 mn 41s, 60 ème.
Mon arrivée à Marla se passe sous les applaudissements. Je pointe, salue les bénévoles, traverse le poste en courant et ressors aussitôt. Plusieurs essayent de me vendre leur soupe, mais je décline ! La nuit tombe et ma seule préoccupation est d’avancer afin d’allumer ma frontale à proximité de la rivière. C’est ce qui va se passer.
Autour de moi, personne. Je suis seul au monde. Je franchis le petit col avant de longer la rivière jusque Trois Roches. Le balisage est très léger. Cela ne m’empêche pas d’arriver au ravitaillement. On m’oriente grâce au tintement d’une cloche. Bonsoir à tous, je fais que passer.
Trois Roches, 109,4 kms, 1220 m d’altitude, 20h 49 mn, 57 ème
Pour la traversée de la rivière, un parcours lumineux a été installé. C’est pratique et esthétique. Avant de quitter le site, je lance un regard en arrière. Un groupe de quatre coureurs se situe environ à deux cents mètres. Je commence à m’intéresser à mon classement, avec la drôle sensation de revivre mon Grand Raid 2009. Comme à mon habitude, je remonte progressivement au classement. L’objectif que je me fixe est de pouvoir rester dans les 60 jusqu’au Maido.
Sur le sentier me menant à l’îlet de Roche Plate, je suis un peu dans le dur. La première des trois côtes à raison de ma bonne humeur. Je suis au ralenti. Au fur et à mesure de la montée, je vois trois frontales fondrent sur moi. Les gars m’impressionnent. Ils me rejoignent et me déposent. Au sommet, je me ravitaille, essaye de retrouver un second souffle. Tout à coup, j’aperçois un cul nu, oui vous avez bien lu. Alors, ce que je peux vous dire, c’est que c’était un cul nu plutôt foncé ! Je m’assure que ce n’est pas une hallucination. Je demande à son propriétaire, si ça va, s’il a des frottements. Il me répond que non, qu’il a un problème au niveau des hanches, qu’il va devoir abandonner. Mais pour cela, la seule solution est de sortir comme nous tous par le Maido. Cet épisode a eu le don de rompre la monotonie qui m’envahissait. Après lui avoir souhaité bon courage, je repars de l’avant.
Les deux côtes suivantes sont avalées plus facilement. Dans la descente vers Roche Plate, j’essaye de contenir mon envie d’accélérer. La fatigue commence à me gagner. Je baille, ferme les yeux durant quelques secondes tout en avançant. C’est bien la première fois que cela m’arrive. J’entre dans l’îlet et me dirige vers l’école où se trouve le ravitaillement.
Roche Plate, 114,7 kms, 1110 m d’altitude, 22 h 06 mn 57s, 57 ème